
Notre compatriote, Gérard Boutonné, nous crédite de ce délicieux récit rempli des couleurs et odeurs de là-bas.
Merci à notre ami philippevillois
A consommer cependant avec modération
A bientôt
SkikdaMag
GUERMECH ! GUERMECH !
GOURMANDISES DE MON ENFANCE
Pour une fois je vais déroger à ma règle en parlant de nourriture et gourmandise, (menteur, je suis sans cigogne, pardon sans vergogne dis-ai-je, menteur je reste pour mon plus grand plaisir
et peut être le vôtre)
Ma sensibilité à la nourriture est telle qu’il m’arrive de produire un film dans ma tète au fur et à mesure d’une promenade, où les unes après les autres, les odeurs qui flottent dans l’air titillent mes narines. Je vais essayer de vous faire partager ma dernière balade à pied bien sur et en ville, ou plutôt non j’ai mieux, je préfère la spontanéité de mes jeunes années.
Prenons au hasard un jeudi il est 13h, j’ai une réunion avec les Scouts de France à 13h30 « Maman je m’en vais ! Va mon fils et n’oublie pas le paquet pour Monsieur le curé ! D’accord ! » Première odeur, un reste de parfum de vanille qui traîne du côté de la cuisine, nous avons eu un bon dessert aujourd’hui : un baba au rhum avec une crème semi-liquide dont ma mère avait le secret. C’est déjà un souvenir. Je sors de la maison, descend la rue Peschart- d’Ambly, et là au coin je suis assailli par, sortant du « HRANOUT » des odeurs d’épices mélangées, avec une prépondérance du cumin, les images afflues : montagne de couscous fumant, pois chiches grassouillets et colorés par le poivre rouge, mais aussi du clou de girofle ( saucisse de sanglier, fromage de tête) de la menthe fraîche avec du thé et quelques arachides grillées, partagés à 4h assis par terre avec les trieurs de dattes.
La vue d’une GUERBA pleine de dattes écrasées (merci aux Arabo spécialistes de me confirmer ce mot, c’est aussi une réserve d’eau portée par les chameaux et autres équidés.) me donnent des idées de gâteaux, je ralentis le pas pour évoquer la foultitude de possibilité de recettes que l’on peut réaliser avec ces dattes, c’est fou ! Je n’ai parcouru que 40 m à peu près, il faut continuer, je tourne une dernière fois la tête…malheur, les bocaux au fond du magasin, rouge vert rose violet, les bonbons faits main au fond de la cour par la Fatma de service, berlingot vert et rouge torsadé enfilé sur un bâton, œuf énorme composé de 10 20 30 couches de sucre multicolore superposé, il fallait au moins 2h pour en arriver au bout ! Les boites et les tubes de poudre de coco, les ronds de réglisse avec la bille bonbon au centre ! Mais voilà une odeur plus forte : celle de l’huile d’olive, tellement puissante que ma mère la coupait moitié-moitié avec de l’huile « sans goût »
Marche, marche il faut continuer, un moment distrait par le théâtre romain et sa cour où quand la chance me souriait je pouvais apercevoir les filles du collège Maupas en pleine séance de sport en petite tenue, mais là c’était surtout l’instinct du futur Mâle qui me faisait regarder j’avais d’autres idées en tête en ce moment : le Scoutisme, à condition d’arriver à l’heure. La rue Scipion n’offrait que des relents de cuisine rance et savon mélangé, sorte d’eau de vaisselle, je me suis toujours demandé pourquoi cette rue sentait mauvais ? Sauf en haut de l’escalier qui passait devant les bains maures où les odeurs agréables reprenaient.
Il y avait là très souvent un marchand ambulant qui selon les saisons offrait en été des figues de barbarie bien fraîches, et pour ça il les arrosait souvent d’eau qui en s’évaporant, tout le monde le sait, produit du froid ; 5fr les 6, coupées et présentées sans épine que je dégustais au retour car pour le moment j’avais fait le plein. Pour les autres saisons il vendait des bonbons, des gâteaux mais aussi des pétards dont j’étais amateur en particulier une « bombe » 2cm/3cm qu’il fallait jeter sur le sol pour quelle explose. Avec mon frère et les copains on faisait mieux contre un mur, derrière lequel il y avait une femme que l’on faisait sursauter et sortir sur son balcon pour nous engueuler abondamment, et
Pour cela on se servait d’une TAOUATE, lance pierre, tire
boulette, comme vous voulez.
Devant les bains maures les odeurs agréables reprenaient, café, thé à la menthe, vite effacée par l’odeur de la place Victor Hugo, fumée d’automobile arrivant de la rue en pente débouchant devant le lycée de jeunes filles. J’aurais dû sentir la rose et le jasmin par leur présence féminine ? Et bien non ça sent rien les filles ! (plus tard, vivons le présent l’avenir nous appartient)
Arrive la rue Gambetta. Le film continue en passant devant le dépanneur de poste radio, odeur de soudure, de caoutchouc et de petits gâteaux aux anis que je recevais chaque fois que je m’arrêtais chez lui, son nom m’échappe mais pas son béret toujours posé sur le comptoir. Il y avait quatre marches à descendre pour entrer dans son magasin, voilà simple souvenir. Puis venait le torréfacteur aux mille senteurs de café grillé ; plus bas le boulanger avec ses odeurs de pizzes chaudes et autres fougasses, dans le fond du magasin il y avait stocké pour l’hiver une quantité incroyable de tomates, la plante entière était suspendue au plafond en attente de la prochaine pizze.
Continue mon fils ! Je passe devant la boutique enterrée du marchand de tabac à l’odeur pas encore alléchante, ça allait venir un peu plus tard. Le vendeur était installé debout en contre bas, sur les marches d’une cave, et les paquets de cigarettes accrochés sur les deux portes et sur l’épaisseur du mur, curieuse boutique ! En passant sous les arcades c’est l’odeur de la limonade qui dominait devant les cafés, et même un mélange de bière et gazouze. Vite je traversais la rue Georges Clemenceau j’arrivais au square de l’église où se trouvait dans un angle un bien sympathique bonhomme à la dent d’or que l’on voyait à cause d’un bec de lièvre pas soigné. Il vendait, entre autre, sommet de la gastronomie enfantine, des cacahuètes (en réalité des arachides, fruits de la cacahuète) chaudes car il y avait un kanoun en dessous. Jamais je n’ai revu un autre marchand vendant des cacahuètes chaudes, avec sa spatule il tournait et remuait dans un bruit agréable en criant : GUERMECH ! GUERMECH! KAOUKAOU GUERMECH ! Ca me faisait rêver et saliver.
Le reste du trajet, un bout de la 60ème de Ligne était complètement neutre et inintéressante et me ramenait à la réalité derrière le presbytère « n’oublie pas M le Curé, disait la voix de ma mère » avant d’arriver au local où les scouts se réunissaient pour préparer les futures sorties et le camp de l’été.
Le film se terminait brutalement à mon goût, enfin un épisode, car ma gourmandise permanente à continué et continue encore. C’est une véritable obsession, passion, l’odeur, le goût et l’évolution de ma gastronomie n’est pas celle de l’assiette vide de certains grands chefs actuels, que l’on montre à la télé, en train d’essuyer le bord de l’assiette, toujours avec le même torchon avant de la donner au serveur.
Ma recherche permanente m’a amené récemment à écrire à un scientifique de la gastronomie, du laboratoire de chimie des interactions moléculaires du collège de France. C’est M. H. This, un maboul comme moi qui passe son temps, entre autre, à expliquer le pourquoi d’une recette d’une astuce de cuisine. C’est un véritable passionné à qui j’ai posé récemment une question sur la façon de faire le café quand j’étais en camp scout. Une fois le café infusé dans la bassine sur le feu de bois, les chefs nous avaient expliqué qu’il fallait tremper un bâton de braise dans la bassine pour faire descendre le marc au fond. Méthode que j’ai retrouvée dans une partie de l’Ardèche mais toujours sans explication. La réponse du scientifique a été : la braise n’accélère pas la précipitation du marc, par contre il semble, ce qui reste à confirmer, que cela adoucisse l’amertume du café.
Guermech ! Guermech ! Elles sont chaudes mes cacahuètes, qu’ils sont bons mes souvenirs de gâteaux européens-arabisés comme les mille feuilles aux couleurs criardes, mais au goût délicieux, qu’ils sont bons les zlabias, makroudes, ftaires, cornes de gazelle, mantécao, arrosés d’un thé chaud ambulant avec kanoun incorporé… un rêve.
La passion est toujours excessive. J’ai eu la sagesse de ne jamais développer les films de mes gourmandises, je les ai simplement gardés comme de très grands souvenirs en moi (voyez bien ! Qu’il y a autre chose que la nourriture terrestre qui me constitue ?
J’embrasse les filles pas encore les garçons, mais surtout
Je suis heureux de vous savoir en vie puisque vous me lisez
Bouns.
Gérard Boutonné